Contexte

Les organisations et leurs équipes évoluent dans des contextes VUCA, contextes aussi connus sous le terme de “vraie vie”.

Face à leurs défis, les équipes doivent toujours faire preuve de plus de créativité et d’innovation, aussi bien dans l’identification et la clarification des problèmes à adresser en priorité que sur les processus à utiliser pour construire les solutions adéquates.

Cette nécessaire créativité va fleurir sur les débats d’idées, les prises de parole et surtout l’écoute de toutes les intelligences focalisées sur l’urgence du moment.

 

Je vais explorer quelques réflexions autour de cette intelligence collective, de la confiance nécessaire entre les individus et de quelques freins.

Je n’ai pas la prétention de savoir quelles sont vos 3 ; 5 ou 7 principales difficultés dans l’adoption efficace d’une culture plus agile ou d’un cadre de travail tel que Scrum, et encore moins de vous donner un plan prêt à exécuter !

Néanmoins, je vois une difficulté récurrente autour de la confiance comme ingrédient clé dans les interactions. Je vous laisse juger de sa prégnance et de la manière de l’adresser dans votre contexte singulier.

L’autogestion et l’autonomie

L’autogestion est une propriété naturelle de tout écosystème (Cf. banc de poisson, essaim d’abeilles ; vol d’étourneaux ; enfants dans une cour d’école…) et c’est, avec l’empirisme (la connaissance provient de l’expérience), un des brins de l’ADN de Scrum. Mais cette autogestion peut également facilement être mise à mal.

L’autogestion dans le cadre Scrum signifie un leadership distribué parmi tous les membres de la Scrum Team. La Product Owner est naturellement leader de la vision, stratégie et feuille de route du produit, la Scrum Master sur le cadre, les interactions et les processus, et les Développeurs sur les décisions autour de la construction de la solution. Seuls, les membres de cette Scrum Team sont capables de remplir leur mission avec un maximum d’autonomie (n’être contraints à solliciter que très rarement des aides externes pour débloquer des situations) et un maximum d’efficacité (créer de la Valeur) et d’efficience (minimiser tous les types de gaspillage).

Chaque Scrum Team est à la fois unique dans son identité et sa culture, et est à la fois une représentation de l’écosystème au sein duquel elle s’inscrit. Chaque événement reproduit la même structure fractale et contient en son cœur toute la culture de la Scrum Team et de son écosystème.

Par exemple, les interactions entre les Développeurs pendant le Daily Scrum seront probablement une projection des interactions qui peuvent exister en dehors de la Scrum Team entre différentes entités de l’organisation. Si des clans existent entre les Développeurs (entre les experts UX ; les Business Analyst ; les experts du codage informatique…), il y a fort à parier que l’organisation reproduit ces mêmes types de clan avec la même qualité d’interactions à une échelle plus macroscopique.

Cela s’explique par le principe d’homéostasie, phénomène assurant la stabilité d’un système et la préservation de son état actuel, qui justifie que la culture de la Scrum Team ne puisse pas être fondamentalement en rupture avec la culture de son écosystème, sous peine de rejet violent.

La Confiance comme ingrédient clé

Pour remplir au mieux leur mission, les membres d’une équipe doivent apprendre à se faire confiance.

Patrick Lencioni pose d’ailleurs la confiance comme étant la base du bon fonctionnement d’une équipe.

Il s’agit ici de la capacité des personnes à s’exposer de la manière la plus sincère, sans avoir peur de dévoiler leurs vulnérabilité, ce qui est toujours plus facile à dire qu’à faire, souvent par peur des critiques, jugements, craintes de conséquences et de retournement contre soi. L’absence d’une telle confiance entre les membres d’une équipe détruit tout espoir de débat d’idées sincère.

Amy Edmondson propose ici le concept de “Sûreté Psychologique” pour décrire un environnement sain, dans lequel les individus n’ont pas peur de poser des questions, de partager leurs idées et leurs doutes.

Il y a ici tout un travail de la part des leaders formels et informels pour favoriser l’expression libre de la parole et neutraliser autant que possible l’émission de jugements et critiques des individus, sous peine de détruire toute initiative de progrès et d’émergence d’idées novatrices.

Amy Edmondson illustre dans ses propos (https://www.amazon.fr/Fearless-Organization-Psychological-Workplace-Innovation/dp/1119477247  et https://www.youtube.com/watch?v=BxC1Bl-4ZvE) comment un climat pauvre en sûreté psychologique incite un environnement professionnel à taire ou masquer les problèmes et donc paradoxalement empêche de progresser, dans tout type de contexte (industriel, tertiaire voire hospitalier) avec les conséquences catastrophiques dont la presse s’est déjà emparée par le passé.

En outre, nous sommes également tous pourvus d’un degré très variable de confiance en soi, laquelle peut se développer par un travail personnel sous différents axes.

Charles Pépin (https://www.amazon.fr/Confiance-soi-une-philosophie/dp/2266313568) explore ainsi la confiance en soi comme étant le fruit de la confiance que l’on accorde aux autres coéquipiers, à nos mentors et à nos propres compétences et capacité d’improvisation. De son côté, Frédéric Fanget (https://www.amazon.fr/Confiance-soi-une-philosophie/dp/2266313568) nous aide à nous mettre en mouvement pour limiter ce manque de confiance qui nous paralyse et nous maintient dans un cercle vicieux empêchant le développement de notre potentiel.

Toutes ces clés autour de la confiance peuvent sembler être suffisantes.

Pourtant, force est de constater qu’en entreprise, la confiance entre membres d’une même équipe et a fortiori la confiance entre une équipe et son écosystème sont bien souvent limitées.

Encore pire, les collaborateurs peuvent prétendre se sentir en confiance tout en restant dans des postures très passives vis-à-vis de donneurs d’ordre (clients ou managers) ou d’experts (Technical Leader ou Lead Programmer https://en.wikipedia.org/wiki/Lead_programmer), à l’instar d’un jeune enfant se sentant totalement en confiance sous la protection de ses parents attentionnés.

Les apports de l’Analyse Transactionnelle

Nous avons vu que la confiance est nécessaire mais pas suffisante à elle-seule pour avoir une équipe autogérée performante.

L’Analyse Transactionnelle est une théorie de la communication créée en 1958 par Eric Berne, proposant une modélisation des échanges relationnels appelés Transactions, visant à améliorer la compréhension de ces Transactions.

Les trois états du “Moi” (Parent-Adulte-Enfant) parmi lesquels nous naviguons représentent un système de pensées et de comportements basé respectivement pour le Parent sur une reproduction de figures marquantes (les règles qu’il faut respecter) ; pour l’Adulte sur l’ici et maintenant (nos possibilités dans le contexte actuel) ; pour l’Enfant sur un retour à des mécanismes de l’enfance (la spontanéité pour répondre à nos besoins immédiats).

L’Analyse Transactionnelle et ses trois états du “Moi” apportent ici le concept intéressant de chaînes symbiotiques expliquant comment les interactions entre les membres de la Scrum Team seront imprégnées des mécanismes des interactions entre la Scrum Team et son écosystème.

Par exemple, si la relation entre l’écosystème et la Scrum Team peut dans certains cas s’apparenter à une relation de type “Parent ⇔ Enfant” où l’organisation impose ses choix sans discussion possible dans une approche descendante, alors il est fort probable de voir se reproduire les mêmes relations “Parent ⇔ Enfant” descendantes et autoritaires au sein de la Scrum Team, typiquement entre la Product Owner et les Développeurs, voire entre un Développeur “Senior” et un autre Développeur “Junior”.

Un piège pour la Scrum Master serait ici de plonger à pieds joints dans le triangle dramatique de Karpman pour sauver (+/-) les Enfants victimes (-/+) d’un Parent qualifié de persécuteur (+/-).

La progression va ici passer par l’évolution de ces transactions pour naviguer dans les quatre positions de vie ( Dépendance -/+ ; Contre-dépendance -/- ; Indépendance +/- ; Inter-dépendance +/+) proposées par l’Analyse Transactionnelle et viser à installer essentiellement des interactions d’interdépendance de type Adulte⇔Adulte. Si vous traitez les gens comme des enfants, il ne faut pas s’étonner qu’ils se comportent comme des enfants !

Sans être facile, il est faisable pour la Scrum Master, de commencer par faire évoluer les comportements des Développeurs vers davantage d’interactions de type Adulte⇔Adulte, toujours en veillant à éviter le triangle de Karpman, c’est à dire en évitant d’endosser même involontairement l’un des trois costumes du drame.

Ensuite, il faudra réussir à faire de même entre Product Owner et Développeurs pour passer d’interactions Client / Fournisseur à une vraie collaboration.

Le palier suivant pour la Scrum Master, encore plus délicat, sera de faire évoluer les interactions entre les parties prenantes et la Scrum Team dans son ensemble.

Progressivement, de meilleures interactions vont s’installer et ainsi contribuer à une utilisation plus efficace du cadre de travail Scrum dans l’ensemble de l’écosystème.

Mais pourquoi est-ce si difficile ?

Nos manières d’interagir sont le résultat de toute une culture et une éducation qui n’amènent pas les individus à se responsabiliser autant qu’ils en sont capables. On espère souvent que quelqu’un prenne les décisions à notre place. C’est ce qu’on attend des parents, de la maîtresse, du professeur, de la cheffe, du gouvernement politique et de son président. C’est notre mode de fonctionnement conditionné, tout à fait efficace et pertinent lorsqu’on est un jeune enfant fragile et vulnérable, mais limitant dans nos vies d’adultes, à moins de vouloir délibérément maintenir un système d’oligarchie.

Que faire ?

En tant que leader (Scrum Master ou autres Leaders), il est pertinent de travailler sur les processus et l’environnement, en se focalisant sur ce qu’il est possible de faire bouger, pour faire évoluer les comportements, plus que de s’épuiser à vouloir déjà être là où on aimerait être.

En effet, l’évolution délibérée des processus va amener invariablement à l’adaptation progressive des comportements eux-mêmes. L’idée est expliquée ici par Dave Snowden, créateur du modèle Cynefin.

Cette évolution des processus peut passer par le fait de rendre transparents les jeux de manipulations (dont les triangles de Karpman & chaînes symbiotiques) ; les types d’interactions & positions de vie vécues.

Il est possible pour le Scrum Master ou leader d’intervenir en mixant avec équilibre différentes postures telles que de la formation, de la facilitation, du coaching, de la reformulation, du rappel du cadre et de ses valeurs…

Évidemment, ces interventions seront l’occasion pour le Scrum Master ou Leader d’incarner les valeurs de Scrum, en ayant des discussions courageuses en face à face ou en collectif.

Et vous, quelle conversation courageuse d’Adulte à Adulte allez-vous avoir aujourd’hui ?

 

Avec mes plus sincères remerciements à l’ensemble des French PSTs pour leurs relectures et suggestions : Alice, Christian, Emmanuel, Fabio, François, Jean-Christophe, Philippe, Vivien

Images issues de https://unsplash.com/fr

Leave a Reply